Les pirates ont beaucoup intéressé les chercheurs, comme le prouve la bibliogra- phie donnée par L. A. V. à la p. 442 ; on y trouve, dans l’ordre alphabétique, les noms
d’Álvarez-Ossorio Rivas, De Souza, Maróti, Sestier et Sintes, pour ne mentionner que les plus connus. Et pourtant, L. A. V. a publié un ouvrage original. En effet, il a choisi d’écrire à la fois pour un large public cultivé et pour des spécialistes. À l’intention des premiers il a rédigé un texte écrit simplement, imprimé en grosses lettres et allégé de l’apparat des notes infrapaginales, ce qui sera peut-être regretté par quelques atrabi- laires. L’iconographie est abondante, faite de cartes, de photographies et de dessins en couleurs. En pensant aux seconds, il a écrit un texte détaillé, avec de nombreuses citations en traduction et une bonne bibliographie (p. 442-479). De plus, les descrip- tions sont replacées dans leur contexte historique et géographique, ce qui permet de comprendre l’enchaînement des faits.
La matière est répartie sur huit chapitres.
À la rubrique des conditions générales, il faut décrire les navires, surtout connus par des épaves qui ont été retrouvées grâce à l’archéologie sous-marine. Des pirates partaient à l’assaut des civils, d’autres provoquaient des échouages pour mieux piller. Le butin était matériel et/ou humain (esclaves). Des marchés permettaient de l’écou- ler et, dans ce domaine, Délos a occupé une place particulière.
La suite de l’étude privilégie les espaces géographiques combinés à des analyses historiques.
Les îles qui ont, logiquement, attiré les pirates sont étudiées. Au sud-ouest de l’Anatolie, Rhodes, grand centre commercial, avait besoin d’ordre et donc de lutte contre les pratiques de ces ennemis. La ligue nésiotique, qui regroupait les Cyclades aux IVe-IIe siècles, a eu aussi le même objectif, mais de manière mineure ; elle in- tervenait surtout au profit de la Macédoine. À l’opposé, la Crète a servi de base à ces importuns, ce qui entraîna des interventions de Rome.
Índice Histórico Español, núm. 137 (2024), ISSN: 0537-3522, e-ISSN: 2339-6989, (p.215-217)
©Yann Le Bohec, 2024-CC-BY-ND
REVISTA DE HISTORIA DE ESPAÑA | SPANISH HISTORY MAGAZINE DOI: 10.1344/IHE2024.137.12
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Justement, il est alors temps de faire la liste des premières interventions de Rome, qui n’étaient pas toutes essentiellement dirigées contre les pirates. Contre l’Illyrie (approximativement l’ex-Yougoslavie, son littoral surtout) : dans ce pays, la reine Teuta nourrissait des ambitions et elle comptait sur les pirates pour les en- tretenir. D’où des interventions de Rome. Contre les Ligures, ensuite : ces peuples contrôlaient une partie du littoral de l’Italie actuel, à l’est et à l’ouest de Gênes, et ils nuisaient au commerce maritime. D’où d’autres interventions de Rome. Contre les Istriens également : les habitants de cette péninsule causaient des dommages au port d’Aquilée, cité proche du rivage et devenue colonie romaine. D’où une troisième sé- rie d’interventions de Rome. Enfin, L. A. V. estime que la conquête des Baléares avait une justification dans la lutte contre ce fléau.
Pour la fin de l’époque républicaine, les pires pirates furent les Ciliciens. Les textes sont remplis de leurs méfaits ; Strabon, Plutarque et Dion Cassius les nom- ment souvent. Ils avaient constitué de vraies flottes avec lesquelles ils pillaient les villes et les sanctuaires. Une anecdote qui aurait pu être amusante si les consé- quences n’avaient tourné à la tragédie concerne Spartacus (notre ouvrage, Spartacus chef de guerre, 2022, p. 144-146). Ce meneur de révoltés qui voulaient tous quitter l’Italie pour rentrer chez eux engagea des pourparlers avec des pirates, qui devraient mobiliser un très grand nombre de navires. Il eut le tort de payer d’avance ; il ne revit jamais les organisateurs de ces voyages et il perdit son argent.
Ces ennemis s’attaquèrent même à l’Italie et, comme ils ne craignaient pas les dieux, ni les déesses, ils pillèrent le sanctuaire de Junon Lacinia, près de Crotone, dans le sud de la péninsule. Au chapitre des cités, ce fut Siedra en Pamphylie (centre- sud de la Turquie actuelle) qui fut leur victime et qui est étudiée comme telle.
Rome réagit avec force, souvent et partout. Dès 102, Marc Antoine (l’orateur, pas l’amant de Cléopâtre) fut mandaté dans ce sens. L. A. V. présente une inscrip- tion de Corinthe et commente la loi de prouinciis praetoriis, qui aurait été de peu postérieure à l’année 100. Marius, Sylla et Lucullus sont connus pour leurs actions politiques et guerrières, au cours desquelles ils se sont chacun opposés à des pirates à un moment donné. Le principal centre de ces nuisibles ayant été la Cilicie, Rome transforma cette région en province, avec un bilan modeste dans l’immédiat.
Les années 70 av. J.-C. virent un apogée à la fois de la piraterie et de la lutte contre cette industrie.
L’Isaurie, qui se trouvait en retrait derrière la Cilicie et la Pamphylie, leur servait d’arrière-base. P. Servilius Vatia devint « vainqueur de l’Isaurie », Isauricus. Il est remarquable qu’on ne disait pas « piraticus », « vainqueur des pirates ». Ce mot, jamais employé, aurait diminué la valeur du récipiendaire : il était plus honorable de vaincre un peuple que des brigands ; c’était affaire de guerre, d’armée, et pas de police.
César se trouva au cœur d’une anecdote significative. Jeune homme, il avait été capturé par des pirates qui exigèrent une rançon. Ayant appris le montant, il se mo- qua d’eux : il valait, dit-il, beaucoup plus. Et il leur promit de revenir et de les cruci- fier après sa libération. Ils rirent beaucoup … et ils furent crucifiés.
Au cours de ce premier siècle av. J.-C., le mot « pirate » prit un sens politique, plus général ; il désignait tout ennemi qui avait une flotte à sa disposition. Et ce sens dura
au moins jusqu’à la fin du IIIe siècle de notre ère. Carausius, auteur d’un coup d’État dans l’île de Bretagne en 286 (actif jusqu’en 293 ?), fut même qualifié d’« archipirate » (Kerneis S., Les Celtiques, 1998, p. 160-175).
Retournons dans les îles. Marc Antoine (toujours pas l’amant de Cléopâtre, mais le fils de l’orateur homonyme cité plus haut), fut appelé Creticus, tout comme
Q. Caecilius Metellus après lui. Cette répétition du titre prouve que les victoires n’étaient pas définitives.
Il fallut attendre Pompée pour un premier coup de grande ampleur contre la piraterie. En 67, la lex Gabinia lui accorda des moyens exceptionnels pour éradiquer cette activité de la Méditerranée, moyens juridiques et militaires : des légions sans limitation de nombre et 200 navires. En 66, la lex Manilia lui octroya encore plus de possibilités d’action : pour remplir sa mission, il rassembla au moins 60 000 lé- gionnaires.
Pendant la guerre civile qui opposa les pompéiens à César puis à Octave, le mot
« pirate » fut souvent employé, pas toujours à tort ; mais il prit davantage un tour politique. En fait, la vraie disparition de ce brigandage maritime vint avec Auguste, quand il créa une marine et une armée permanentes, ce qui avait manqué à la Ré- publique. L’armée de terre put alors prendre d’assaut les repaires de brigands et la marine bloquer les ports, puis détruire les navires et leurs utilisateurs.
Le lecteur aura deviné la richesse de cette belle synthèse, agréable à lire et bien documentée. Des traductions en français et en anglais seraient les bienvenues.
Yann Le Bohec
Professeur émérite d’Histoire Romaine à l’U. de Paris IV- La Sorbonne
yannle_bohec@icloud.com ORCID ID. : 0000-0003-9280-2179
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